Revue de Presse

Le Quotidien du Médecin – Dr Patrick Pelloux (AMUF) : « Les IPA, c’est l’ubérisation de la médecine »

PAR MARTIN DUMAS PRIMBAULT – PUBLIÉ LE 26/11/2020

Le président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) est vent debout contre l’instauration du métier d’infirmière en pratique avancée (IPA) aux urgences. Il dénonce un « démantèlement » à bas bruit de l’exercice médical, alors que le débat a également fait rage ces derniers jours sur le projet de création d’une profession médicale intermédiaire, pour l’instant abandonné…

LE QUOTIDIEN : Vous êtes très opposé à l’arrivée des infirmières en pratique avancée (IPA) aux urgences, pourquoi ?

Dr PATRICK PELLOUX : Quand cette idée, inspirée des systèmes anglo-saxons, est née, il était simplement question d’une valorisation salariale pour les infirmières qui s’occupent des malades chroniques. Cette délégation de compétences avait tout son sens dans un champ qui a été fixé par le conseil national de l’Ordre des médecins : le suivi du diabète, de l’asthme, des pathologies cardiaques, etc… Cela permettait d’améliorer la prise en charge de ces malades.

Or aujourd’hui, il y a la volonté de donner aux infirmiers la possibilité de réaliser des actes qui sont médicaux : le diagnostic, les examens complémentaires et la thérapeutique. Nous y sommes opposés ! Il y a aussi la volonté de mettre les IPA dans les SMUR. Toute la singularité du système français, qui consiste à médicaliser le SAMU, est en train d’être détruite.

À moyen long terme, nous aurons des services d’urgences avec seulement un ou deux médecins. Et je n’ai aucun doute sur le fait que, bientôt, il y aura des IPA dans les quartiers populaires où on n’arrive plus à mettre de médecins. Les pauvres auront des IPA, les riches auront le droit de voir un médecin.

Vous craignez un démantèlement de l’exercice médical ?

Les IPA, c’est une sorte d’ubérisation de la médecine, par le talon d’Achille des urgences. Certains collègues ont un discours médico-économique très formalisé, très technocratique, qui consiste à vouloir optimiser le temps médical. Ils disent que nous n’accueillons que 5 % d’urgences vitales. Je suis totalement opposé à cette vision.

La pensée libérale consiste à dire que la médecine est un algorithme. L’intelligence artificielle devrait pouvoir établir un diagnostic qu’on peut ensuite faire interpréter par une IPA. Mais un médecin, c’est une somme de savoir et d’accumulation d’expériences, ce n’est pas un algorithme.

Il n’y a pas de « petite » urgence, ou de « petite » médecine. Rien ne met plus en colère un orthopédiste que de lui parler de « petite » traumatologie. Aujourd’hui, quand on veut nier l’existence d’un problème, on dit qu’il est petit. Il y a des malades qui payent des impôts pour avoir des médecins, libéraux ou hospitaliers. Le contribuable a mis du pognon depuis des années pour avoir des urgences avec des professionnels qualifiés. Et là, une certaine partie de la profession voudrait rejeter les médecins urgentistes avec leurs compétences pour mettre à leur place des infirmiers.

La majorité à l’Assemblée nationale vient d’abandonner son projet de création d’une profession médicale intermédiaire. C’est une bonne chose, non ?

Ce n’est pas passé par la porte mais ça entrera par la fenêtre. Ce nouveau métier aurait remis en cause violemment le rôle du médecin. Il faut que l’ensemble des professions médicales en France comprennent qu’une digue est en train de céder.

Nous sommes en train de revenir en arrière. Je rappelle que jusqu’au début des années 1990, aux urgences, il n’y avait pas de seniors. Vous étiez accueillis par l’externe et l’interne de garde. Nous nous sommes battus pendant 20 ans pour la seniorisation des urgences qui est intervenue en 1988.

Mais je comprends que les directeurs soutiennent ce projet car ils paieront moins cher les IPA pour faire le travail du médecin. En gros, pour le prix d’un médecin vous avez deux IPA. Je comprends aussi les universitaires qui pourront demander des postes et créer des écoles pour former ces nouvelles infirmières. Mais avec tout cela, on enlève des médecins dans les services d’urgences et c’est absolument scandaleux.

Source : Le Quotidien du Médecin

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