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La Dépêche – 22.06.2009 – Crise de nerfs aux urgences

La température monte dans les services des urgences. Grève toujours à Carcassonne et manifestation, aujourd’hui, des blouses blanches à Toulouse.
Les urgentistes revendiquent une « reconnaissance de leur travail » à sa juste valeur. Photo DDM, Michel Viala - DDM
Les urgentistes revendiquent une « reconnaissance de leur travail » à sa juste valeur. Photo DDM, Michel Viala DDM

Les urgences au bord de la crise de nerfs. Dans de nombreux hôpitaux français – les CHU de Nantes, Nice, Toulouse, Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) ou Marseille – les personnels et les syndicats tombent d’accord sur le diagnostic : partout, il y a manque d’effectifs, manque de lits, matériel défectueux, locaux vétustes. Au CHU de Purpan, victime de la démographie galopante de Toulouse, les patients sont carrément soignés dans le couloir. « Environ 10 patients par jour qui n’ont aucune intimité, ni secret médical, qui se font pipi dessus, restent des heures le torse dénudé à attendre », glisse un infirmier exténué.

Hugues Ferrand, directeur de Purpan et du pôle service des urgences, a beau annoncer la mise en place de moyens supplémentaires, rien n’atténue pour l’heure la colère des personnels soignants. « Nous avons renforcé les moyens l’après-midi avec du personnel soignant en plus, explique-t-il. Mais nous sommes confrontés à un problème récurrent : il manque des infirmières sur le marché ».

Dans les hôpitaux, la grève prend une forme particulière : infirmiers et médecins grévistes sont de toute façon tenus de respecter les astreintes. « Les patients ne se rendent compte de rien, évidemment ils sont soignés », avoue une infirmière.

Le ras-le-bol ne date pas d’hier. Déjà fin 2007, l’association des médecins urgentistes dénonçait le fait que le gouvernement n’ait pas tenu ses « promesses » en matière de rémunération des gardes ou d’heures supplémentaires et RTT impayées. Ils revendiquent aussi une « reconnaissance de leur travail » à sa juste valeur. Le système de la permanence des soins, refondé en 2003, a mis fin à l’obligation pour les médecins libéraux de faire des gardes et astreintes le week-end. Selon un rapport rendu public en septembre, cette permanence des soins est « peu fiable » et souffre d’un « désengagement progressif des médecins libéraux » qui accroît l’activité des urgences hospitalières. Dans certains départements de Midi-Pyrénées, comme à l’hôpital de Tarbes, la création d’une maison médicale a permis de désengorger un tant soit peu les urgences et de mieux gérer la « bobologie ».

Reportages dans deux services des urgences à Toulouse et Carcassonne.
Purpan : « Le personnel est fatigué »

La grève au service des urgences à l’hôpital Purpan est tenace. Débutée il y a trois semaines, elle a récemment été reconduite par les personnels soignants avec l’appui d’une intersyndicale (CGT, SUD-FO et CFDT). Une manifestation est prévue aujourd’hui à 14 heures au rond-point à l’entrée de l’établissement de santé le mieux classé en France. Ici, où les patients peuvent se retrouver pris en charge à même le couloir (faute de place), le personnel est à bout de forces. « Le personnel est énervé, fatigué. Pour ceux qui ont des enfants, c’est une vie qui n’est plus possible. D’ailleurs, le turn-over est impressionnant dans le service », témoigne Stéphanie, infirmière en poste depuis deux ans et demi.

Pour elle, le manque de dialogue avec la direction est pesant. « On a vraiment l’impression, dit-elle, que notre hiérarchie ne nous entend pas. Nous sommes quatre infirmières à nous relayer sur trois plages horaires, il y a trois secteurs différents, plus une infirmière de couloir. Il y a trois aides-soignants par secteur. Cent pour cent du personnel sont en grève mais nous sommes assignés tous les jours. On ne peut plus faire face au flux de patients de plus en plus important. »

Obligés de soigner, les personnels se déchargent en revanche de certaines tâches qui leur étaient imparties. Comme « ne plus gérer le logiciel qui permet d’enregistrer les sorties du service ». « Ce sont les médecins, les secrétaires, les externes qui s’en chargent », confie Stéphanie. À tous les niveaux, il manque du matériel : pas assez de tensiomètres, de thermomètres. « ça dure depuis des années, déplore l’infirmière qui n’est pas syndiquée. Peut-être aussi que les médecins traitants ne jouent pas leur rôle sur tout ce qu’on appelle la bobologie. Il nous manque une maison médicale à Purpan ». Nuit et jour, le couloir des urgences est occupé par des brancards. Pas moyen pour les services d’entretien d’y faire correctement le ménage.

« Dans l’Aude, le compte n’y est pas »

Le personnel des urgences de Carcassonne est en grève depuis le 10 juin dernier à l’appel du syndicat Force ouvrière qui dénonce le manque d’effectif et les conditions de travail.

En mars 2008 déjà, le personnel tirait la sonnette d’alarme. « Si la situation se répète, c’est que bagarre après bagarre nous parvenons à obtenir des avancées puis au fur et à mesure les personnels sont enlevés ou la surcharge de travail s’amplifie et nous nous retrouvons dans cette situation », explique Bruno Izard, pour le syndicat FO hospitalier de Carcassonne. En bref, c’est un peu la politique du « On déshabille Pierre pour habiller Paul ».

Désormais la situation est des plus tendues entre direction et personnel des urgences. « Après le mouvement de grogne de ce même personnel au printemps 2008, l’effectif nécessaire à l’ouverture de la morgue en 7 jours/7 devait être mis en place, en même temps que l’ajout d’une ligne supplémentaire d’une infirmière. Déficit en communication, d’après la direction, désengagement du personnel, quoi qu’il en soit, à quelques jours de l’extension de l’ouverture de la morgue, le compte en personnel n’y est pas », s’étonne le syndicat.

Un autre préavis de grève a été déposé pour le centre de régulation le « 15 » cette fois qui prendra effet, lundi (ndlr : aujourd’hui) à minuit. Là encore, un manque d’effectif, les seize permanencières cumulent 4032 heures supplémentaires qu’elles ne peuvent ni récupérer ni se faire payer.

Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu : « En France, la moitié des urgences manque de moyens »

Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu de Paris, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), revient sur la situation des urgentistes.

Quel constat faites-vous sur les urgences en France ?

Il y a eu des progrès réalisés après la canicule de 2003, et ce, jusqu’en 2006. Puis, après cette date, tous les moyens qui avaient été donnés ont été progressivement repris. Bref, on repart comme avant.

Aujourd’hui, les urgences sont débordées…

Au sein de l’Amuf, nous avons constaté qu’il y a un seuil de fréquentation qu’il ne faut pas franchir : au-delà de 160 personnes par jour, il faudrait créer un autre service d’urgence afin de garantir un certain humanisme et éviter les longues chaînes d’attente.

Comment voyez-vous l’été ?

Je ne suis pas optimiste, surtout quand on voit la gestion de la grippe A qui a été réalisée par notre ministre de la Santé. Nos urgences ont été débordées. Que se passera-t-il, quand les cas que nous recevrons seront réellement graves ? La France a fermé trop de lits d’hospitalisation. Si nous avons une crise majeure, nous n’aurons pas les places d’accueil suffisantes.

Concrètement, que manque-t-il ?

En 2006, nous avions un accord avec le ministre de la Santé, à l’époque, Xavier Bertrand. Sur les 900 centres existants en France, seuls 50 restaient à renforcer. Aujourd’hui, plus de la moitié, soit 450 à 500 centres, manquent cruellement de moyens. Et cela entraîne une spirale sociale : avec ce manque de moyens, le travail devient plus difficile. Quelques médecins commencent à partir, ce qui aggrave les difficultés et la pénibilité, et ainsi de suite… Jusqu’aux grosses difficultés comme aux urgences de Toulouse-Purpan.

Il faut donc des moyens supplémentaires ?

Nous vivons dans un certain confort de vie. Aujourd’hui, on veut tout, tout de suite. Et quand on arrive dans un service hospitalier, on débarque dans les années cinquante. Oui, il faudrait plus de moyens pour retrouver une certaine exigence de qualité.


Témoignage : « J’ai attendu 5 heures»

19h. Samedi soir, dans la banlieue de Toulouse, Gérard D., 53 ans, fait du jardinage. Il ressent une gêne dans l’œil, puis une vive douleur. Il appelle les cliniques les plus proches de chez lui, au Nord-Est de Toulouse. « Les deux établissements me renvoient vers Purpan, seule permanence ophtalmo de Midi-Pyrénées le soir et le week-end, raconte-t-il.

20h. Arrivée à Purpan. Première surprise, Gérard est enregistré et mis en file d’attente sans régulation. Personne pour juger de la gravité de son état. « Devant moi, 7 à 8 personnes attendent. On nous dit, d’un ton mi-moqueur : vous en avez pour 5 heures… »

22h. Premiers énervements dans la salle d’attente. Une personne âgée, 80 ans, se plaint de son état, sans recevoir de calmant. « Personne ne regarde rien. Une infirmière explique qu’elle appelle un professeur d’astreinte, mais il ne viendra jamais. »

23h. Deuxième grogne en salle d’attente. « Là, nous apprenons que seule une interne assure la permanence. Elle fait les opérations au bloc en pédiatrie et redescend s’occuper des urgences. Nous patientons. »

01h30. L’interne prend enfin Gérard. « Elle me fait une auscultation complète. Un super travail, sans s’énerver et malgré la fatigue. »

02h. Sortie des urgences. « Si un ophtalmo de ville avait assuré la garde, je n’aurais peut-être pas été encombrer les urgences », conclut-il.

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