Revue de Presse

Paris-Normandie.fr L’étendue du malaise dans les hôpitaux normands

Illustration revue de presseDans les hôpitaux de la région, l’étendue du malaise

À vif. Le gouvernement a annoncé mardi une « réforme globale » pour soigner le système de santé. Au vu du diagnostic établi par les hospitaliers dans la région, il y a du travail… 
Il était temps. Temps que la ministre de la Santé dise tout haut ce que beaucoup pensent tout bas depuis des années, et reconnaisse que l’hôpital n’est pas une entreprise. Temps que le premier ministre annonce une réforme globale de l’hôpital et du système de santé. En janvier, un millier de médecins et de cadres de santé ont signé une pétition pour alerter la ministre et, en quelque sorte, la prendre au mot. Dans le même temps, ici ou là, sans l’appui des syndicats, les initiatives, les coups de gueule se sont multipliés pour dénoncer la crise que traverse l’hôpital. Même les citoyens s’en mêlent.

Pour une fois, médecins et cadres de santé, chargés de superviser les équipes paramédicales s’expriment, même si la parole peine à se libérer, presque d’une seule voix. Plus habitués à défendre leur service en particulier que l’hôpital en général.

Exemple : en janvier dernier, ce médecin du CHU de Rouen, qui n’a pourtant rien d’un Patrick Pelloux, le très médiatique médecin urgentiste parisien, n’a pas hésité à prendre la parole devant une centaine de médecins et de cadres de santé rassemblés par la direction dans un amphithéâtre de l’établissement. Il a dénoncé l’épuisement des équipes soignantes et souligné le manque de reconnaissance envers ceux qui permettent la continuité des soins. L’un de ses confrères a surenchéri en dénonçant les choix stratégiques qui consistent à privilégier l’ambulatoire au sein d’un établissement public comme cela existe dans le privé. Au cœur de ces deux coups de gueule : le système de tarification des actes médicaux qui fait courir depuis dix ans les hôpitaux publics derrière les cliniques privées et les actes les plus rémunérateurs. Au détriment de leur mission première : l’accès aux soins pour tous.

Cette tarification, c’est la T2A, comme Tarification à l’activité. Un sigle qui cristallise aujourd’hui la colère des soignants. À l’origine, le système visait à financer les hôpitaux en fonction de leurs activités, histoire de mettre en adéquation l’activité et le financement de l’hôpital public, de rendre plus transparente l’utilisation des deniers publics. « Ce sont les cliniques privées qui en ont retiré tous les bénéfices », glisse une observatrice du monde de la santé.

« La T2A participe au financement des hôpitaux publics, mais contribue aussi et surtout à un nouveau management de l’hôpital que l’on peut gérer comme une entreprise. Nous, nous ne fabriquons pas des chaussures ! » assène le professeur Jean-Paul Marie, chef du service ORL et chirurgie faciale du CHU de Rouen et l’un des premiers signataires de la pétition lancée par le professeur Grimaldi. « Si la T2A est valable pour certaines activités, elle ne rémunère pas à sa juste valeur les pathologies chroniques ou certaines opérations complexes effectuées dans des hôpitaux publics. » Pour faire simple, plus facile de tarifer et de rendre rentables la vingtaine d’opérations quotidiennes de la cataracte dans une clinique privée que le triple pontage cardiaque effectué en urgence dans un hôpital public.

« La T2A pousse les hôpitaux à faire des actes rentables, à grignoter des parts de marché aux cliniques avec lesquelles l’hôpital est en rivalité, en concurrence, alors que cliniques et hôpitaux devraient être complémentaires », assène le médecin.

Si la T2A est si décriée dans le monde hospitalier, c’est surtout qu’elle est arrivée en même temps que les coupes claires dans les budgets. En 2018, 1,6 milliard d’économies est encore demandé alors qu’en 2017, le déficit de l’hôpital public s’élevait à 1,3 milliard.

« La T2A a des effets pervers. Plus on pratique une opération, plus le prix de sa tarification baisse, poursuit Jean-Paul Marie. Pour compenser la baisse des tarifs, les hôpitaux sont alors condamnés à faire de plus en plus d’actes avec des équipes restreintes ou du moins sans personnel en plus. » Comme si le serpent, symbole d’Esculape, dieu grec de la médecine, se mordait la queue. Également au cœur de la mobilisation, les cadres de santé. « Ils sont dans une position difficile, avec des injonctions paradoxales, entre restriction de personnel et leur conscience de soignant. Ce sont eux qui doivent gérer au quotidien les pénuries de lits », reconnaît Jean-Paul Marie. Et de personnel. « L’encadrement de proximité et les équipes paramédicales subissent les répercussions de la T2A : on tend à diminuer la durée de séjour, à augmenter la part de l’ambulatoire. À nous d’essayer d’accompagner les changements de prises en charge dans un contexte financier contraint. C’est parfois épuisant de chercher les solutions, d’autant que la bienveillance envers les équipes lors de ces moments clés n’est pas toujours une priorité pour la direction, » se désole un cadre du CHU de Rouen qui préfère garder l’anonymat. « À l’hôpital, on travaille au cœur de l’humain et les équipes soignantes ont l’impression de ne plus faire leur travail. Chaque année, on leur demande d’être plus productives sans en voir les bénéfices », souligne Patricia De Bonnay, la déléguée régionale de la fédération hospitalière de France.

En matière de déficit, les hôpitaux normands ne sont pas épargnés. Cinq millions d’euros à Évreux et au Havre, six millions à Elbeuf… Lors de sa dernière cérémonie des vœux avant son départ à la retraite en janvier dernier, la directrice du CHU de Rouen, Isabelle Lesage, a rappelé que le déficit a été divisé par trois en trois ans, passant ainsi de 9 à 3 millions d’euros, « avec, je le reconnais, un ralentissement des embauches et des créations de postes ».

À Dieppe, le déficit de l’exercice 2017 est d’environ six millions d’euros. « Dans nos statistiques, tout est relativement bon, sauf l’état de nos finances. Mais si on se met à parler finances en étant soignant, on a un conflit de valeurs », soulignait, lors de la cérémonie des vœux, le docteur Kerleau, le président de la commission médicale d’établissement de l’hôpital dieppois.

Une réforme du financement des hôpitaux va-t-elle en soigner tous les maux ? Pas sûr. Plus qu’une remise en cause d’un système arrivé à bout de souffle, c’est de reconnaissance et d’une vraie gestion des ressources humaines dont les personnels semblent avoir besoin. Et à tous les niveaux. « Il y a 10 ou 15 ans, pour un médecin, travailler à l’hôpital était un grand honneur. Ils étaient triés sur le volet. Aujourd’hui, on peut parler de crise des vocations. » Même les responsables d’hôpitaux semblent avoir la bougeotte.

À Rouen, Dieppe et Le Havre, on attend la nomination de nouveaux directeurs dans les prochaines semaines…

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