Revue de Presse

Patrick Goldstein, patron du Samu 59, 40 ans en état d’urgence

Chef des urgences du CHRU (centre hospitalier régional universitaire) de Lille et du SAMU 59, Patrick Goldstein est depuis plus de 20 ans l’une des figures du monde médical régional. Un taulier. Mais le médecin lillois promène sa blouse au CHRU depuis bien plus longtemps. L’histoire débute un matin de novembre 1977, dans un local de l’hôpital Huriez, sur les pas d’un jeune interne anesthésiste-réanimateur…

« Quand j’ai commencé, on avait deux valises. La rouge, la valise circulatoire avec trois perfusions et un soluté. La bleue, la valise ventilatoire avec un masque, un ballon, un laryngoscope et une sonde d’intubation. Aujourd’hui, la réanimation pré-hospitalière est devenue hyper-technologique. »

– Racontez-nous votre premier jour au SAMU, le 2 novembre 1977…

« Le SAMU avait trois ans d’existence. C’était extrêmement confidentiel, avec peu de monde. Je suis arrivé au SAMU-SMUR comme interne en anesthésie-réanimation, le seul. On avait un local dans l’hôpital Huriez qui devait faire 50 m2 tout compris. Notre numéro était le 54 22 22. Il n’y avait pas de 03 20, pas de 15 non plus. Et on intervenait sur la métropole lilloise et nulle part ailleurs. Mon premier jour, j’arrive à 8 h du matin, je me présente à mon patron Philippe Scherpereel et déjà il faut partir en intervention : quelqu’un qui a les jambes coincées dans un motoculteur. Je pars avec un véhicule très performant à l’époque, une 4L rachetée aux domaines et repeinte en blanc. En fin de compte sur la route on a appris que le monsieur s’était blessé très légèrement et l’intervention a été annulée… »

« Quand j’ai commencé, on avait deux valises. Aujourd’hui, la réanimation pré-hospitalière est devenue hyper-technologique ».

– Qu’est-ce qui vous a amené à cette spécialité qui n’en est pas une à l’époque ?

« Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir une pratique tournée vers la médecine intensive, plus que vers le bloc opératoire. J’avais senti qu’il y avait quelque chose à construire. Et j’avais envie d’une vie où je pouvais me dire le matin que je ne savais pas trop ce qui allait se passer dans la journée. Je savais que ce serait lourd mais différent. De fait, avec six ou sept autres médecins en France, nous avons participé à construire la médecine d’urgence moderne. Un bonheur doublé d’un autre pour moi de le faire ici, au CHRU de Lille. Quand j’ai commencé, il y avait Huriez et Calmette. Point. »

« J’ai vu se construire l’hôpital Salengro, le laboratoire de biologie, la psychiatrie, on a refait Huriez, on a fait cette merveille qu’est l’hôpital cardio-pulmonaire, j’ai conduit la reconstruction des urgences, un modèle européen sur le plan technique. Je ne me suis pas ennuyé. »

– Comment a évolué la médecine d’urgence en 40 ans ?

« Quand j’ai commencé, on avait deux valises. La rouge, la valise circulatoire avec trois perfusions et un soluté. La bleue, la valise ventilatoire avec un masque, un ballon, un laryngoscope et une sonde d’intubation. Aujourd’hui, la réanimation pré-hospitalière est devenue hyper-technologique. Dans les véhicules du SMUR aujourd’hui, vous avez des laboratoires embarqués pour faire un bilan sanguin. Le service dispose d’un hélicoptère. Tous les médecins sont formés à l’échographie. On transporte des patients autrefois intransportables d’un établissement à un autre, y compris ceux qui pèsent 600 grammes avec le SMUR Néonat. Mais le matériel derrière fait une tonne ! »

« Bientôt, grâce à un protocole de recherche dont nous sommes partie prenante, on transportera des patients en situation d’insuffisance circulatoire aiguë en mettant en place des circulations extracorporelles hors de l’hôpital… La seule limite que l’on ait aujourd’hui est financière. C’est tout un réseau de médecine d’urgence dans la région qui s’est mis en place en 40 ans, et il ne faut surtout pas que ça s’arrête. »

– Les urgences et le SAMU de demain, ça ressemblera à quoi ?

« Le SAMU de demain va continuer à s’occuper des urgences lourdes, des transferts. Mais il sera aussi au cœur de la e-santé, en tant que plate-forme de réception de ces signaux médicaux envoyés par les patients vers l’hôpital via différents objets connectés. C’est le pari médical de demain et nous ne sommes pas très en avance. Cette plate-forme au cœur de laquelle la régulation médicale a un rôle clé à jouer permettra de dire : «vous pouvez rester à domicile, on va contacter votre spécialiste ou il est préférable qu’on vous emmène à l’hôpital. »

« Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir une pratique tournée vers la médecine intensive, plus que vers le bloc opératoire. J’avais senti qu’il y avait quelque chose à construire. »

« D’ailleurs ça a déjà commencé ici. Les cardiologues reçoivent des données de leurs patients à domicile soignés pour insuffisance cardiaque. Idem pour le diabétique, qui envoie des données ici quand il fait son diabétogramme. Ça va se démultiplier avec des objets de plus en plus petits. Vous avez deux manières de voir les choses : soit vous mettez des écrans en cardio, en pneumo, en neuro… Mais qui va surveiller ? Comment sécuriser ? A contrario si vous faites une plate-forme de réception, vous faites une économie de moyens, une économie de sécurisation et vous inventez des nouveaux métiers, des infirmières spécialisées, des ingénieurs. C’est le pari de ma fin de carrière. »

– Quels sont les moments forts que vous retenez en 40 ans de carrière ?

« Ce qui m’importe le plus c’est ce qu’on fait tous les jours. Après, quand les jeunes internes arrivent je leur dis : il y a des moments où vous allez avoir «les boules». L’inverse ne serait pas normal. J’ai eu les boules plusieurs fois. Je pense à l’explosion d’un haut-fourneau de Metaleurop, à Noyelles-Godault, en 1993. On avait 12 jeunes hommes brûlés à 90 %. Il a fallu d’abord qu’on fasse notre travail. Endormir, intuber, réanimer, ventiler. Derrière moi, il y avait des grilles, et derrière des familles qui attendaient des nouvelles et autour de nous des terrils. J’ai eu l’impression de vivre ce qu’avait pu être la souffrance des gens qui avaient subi un coup de grisou. Ensuite il a fallu emmener les blessés à Lille. Et prendre des décisions pour des gens qui étaient très gravement brûlés. Des décisions très dures. »

« Les attentats ont changé notre existence d’urgentiste »

« À la fin, je dis à tout le monde : «Bravo, super-boulot, je vous veux opérationnel dans deux heures». Une stupidité sans nom parce que derrière, tout le monde – médecins, infirmiers, pompiers – a déclenché un stress post-traumatique. On venait de vivre un truc excessivement intense, avec une charge émotionnelle et médicale terrible, et on les a livrés à eux-mêmes. Quelques années après, en 2004, lors de l’explosion de Ghislenghien en Belgique, le scénario se répète, en pire. Mais entre-temps, on avait inventé les cellules d’urgence médico-psychologique pour le stress des victimes et des soignants. Ça a rendu les choses complètement différentes quand on est revenu à Lille. On a été pris en charge. Le fait qu’on pouvait considérer les soignants comme des victimes m’a marqué.

– Vous êtes intervenu aussi à l’étranger…

« Je suis parti à l’étranger dans des situations très dures, au Rwanda, au Congo, au Kosovo. J’ai vu des choses que je n’aurais jamais imaginées, dans le registre de ce que des hommes pouvaient faire à d’autres hommes. Le Rwanda était une horreur absolue. La deuxième fois que je suis allé au Kosovo, c’était en lien avec la ville de Lille, pour extraire des familles de camps de réfugiés. Il a fallu faire des choix compte tenu des places qu’on avait dans l’avion. Des parents me tendaient leur enfant de l’autre côté des barbelés et disaient «partez avec lui». Là vous vous dites, que ce n’est pas possible, c’est en train de se passer à 1 h 30 de Lille en avion… Plus récemment, les attentats de Paris, à Charlie Hebdo et au Bataclan m’ont remué. »

– Dans quel sens ?

« Ça a changé notre existence d’urgentiste. Après le Bataclan, on a formé totalement nos équipes au «damage control». On est dans un changement de doctrine. Dans ces situations, il ne s’agit pas de régler tous les problèmes. Il faut aller vite, on est sur des blessures par armes de guerre, des dizaines de victimes. L’idée, c’est de stopper l’hémorragie et de contrôler l’insuffisance respiratoire. On s’est équipé. On est allé voir chez les Israéliens comment ils faisaient, on a débriefé avec les médecins de Madrid, de Londres… On s’est interrogé pour savoir comment on accueillait les victimes aux urgences, comment on faisait pour avoir les bonnes listes de victimes, comment on rend efficace le temps en bloc opératoire… »

– Vous savez quand vous allez raccrocher la blouse ?

« Le 1er janvier 2017, une circulaire a été diffusée. Elle dit que les médecins hospitaliers peuvent poursuivre leur activité jusqu’à 72 ans. Je n’ai pas l’intention de rester jusqu’à 72 ans. Ce que je veux, c’est transmettre. J’ai encore un peu de boulot là-dessus. Je vais avoir 64 ans en 2018. Très clairement on est sur du 2020-2021. À un moment, il faut passer ses responsabilités, ne pas s’accrocher. Je veux que la boutique soit partie sur la e-santé. Après ce qui se passera… c’est une vraie question. Ce qui est sûr, c’est que je ne resterai pas sans rien faire. Ce que je veux, c’est encore rendre service. »

«Un chef de bande»

Côté pile du bureau, des dossiers, des publications scientifiques. Côté face, des statuettes d’arts africains, un sabre laser et une miniature du robot BB-8 de Star Wars… Esquisse de portrait du Docteur Goldstein et Mister Patrick.

«  C’est un médecin un peu à l’ancienne, paternaliste avec son équipe, qui peut piquer des colères homériques contre un de ses membres. Mais son souci principal est toujours l’intérêt du patient  », dit un urgentiste de la région. L’ex-directeur de Sciences Po Lille Pierre Mathiot compte parmi ses amis proches. «  C’est un chef de bande doublé d’un vrai Saint-Bernard, de ceux qu’on peut appeler en pleine nuit et qui débarque dans le quart d’heure. Et, c’est peut-être un trait que partagent les urgentistes, c’est quelqu’un qui profite de la vie, qui a conservé une capacité d’émerveillement intacte, capable de parler des heures d’un album de jazz ou de Blade Runner… ».

Par Sébastien Leroy

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