20 ans de revue de presse

Le Monde – 30.12.2008 – La qualité de l’hôpital public mise en accusation

Des enquêtes pénales et administratives sont ouvertes après deux décès en région parisienne.

La mort, à quelques jours d’intervalle, de deux personnes en région parisienne repose le problème des urgences hospitalières et de l’hôpital. Il y a d’abord eu celle d’un enfant de 3 ans, mercredi 24 décembreaprès l’injection par erreur d’un produit à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris), puis celle d’un homme de 57 ans victime d’un malaise cardiaque dimanche 28. Il a été pris en charge par le SAMU de l’Essonne sans que ce dernier ne trouve un lit en réanimation, malgré 24 appels. Une place s’est finalement libérée, mais le patient est décédé en arrivant.

Pourtant, a affirmé lundi 29 Roselyne Bachelot, la ministre de la santé, « nous avions onze lits disponibles en région parisienne, à moins de vingt minutes du malade ». Pour Mme Bachelot, « il y avait une offre de soins qui n’a pas rencontré la demande ».

Après la plainte contre X pour non-assistance à personne en péril déposée par l’épouse du malade, une enquête pénale devait être ouverte à Evry. La ministre a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales d’éclairer les « zones grises » et les raisons des délais « incompréhensibles » de l’affaire de l’Essonne. Syndicats, mutuelles et partis d’opposition dénoncent le manque de moyens de l’hôpital public. Le ministère, comme l’UMP, n’y voit qu’un problème de régulation et de pilotage régional des hôpitaux d’Ile-de-France.

Le budget de l’hôpital est-il insuffisant ?

La ministre de la santé met en avant l’augmentation de 3,2 % de l’enveloppe budgétaire de l’hôpital dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, adoptée en décembre, mais aussi les 7 500 places nouvelles et les 5 200 embauches réalisées de 2003 à 2007. Pourtant en novembre, dans une démarche inédite, l’ensemble des présidents des comités consultatifs médicaux des 37 hôpitaux de l’AP-HP ont dénoncé « l’étranglement financier délibéré » de leurs établissements et des « restrictions budgétaires sans objectifs médicaux », aboutissant à « une paupérisation de nos hôpitaux et à un découragement de l’ensemble des personnels ». Qui a raison ? « Les deux affirmations sont exactes, répond Edouard Couty, ancien directeur des hôpitaux au ministère, enseignant à la chaire Santé de Sciences-Po. Il y a bien une augmentation au niveau macroéconomique, mais depuis 2008, la tarification à l’activité est devenue la seule source de financement pour les activités de court et moyen séjours, ce qui a plongé tous les CHU dans le rouge. » Le problème vient du fait que les tarifs établis par l’Etat pour certains actes médicaux sont sous-évalués. « L’hôpital public assume des activités qui lui coûtent plus qu’elles ne lui rapportent. »

En réalité, conclut ce spécialiste, « le système fonctionne avec des ordres contradictoires : l’hôpital doit fournir plus de qualité, plus de sécurité, être plus rationnel, tout en réalisant plus d’économies ».

A-t-on fermé trop de lits ?

L’ouverture administrative d’un lit nécessite un nombre minimal de personnels. Par exemple, en réanimation, il faut deux infirmières pour cinq malades, ainsi qu’une aide-soignante pour quatre malades. Dans la réalité, des lits restent ouverts sans respecter ces normes. Mais en fin d’année, lorsqu’il faut tenter d’équilibrer le budget de l’établissement, la pression pour suivre les normes devient plus forte. La masse salariale, qui représente 70 % des dépenses, sert souvent de variable d’ajustement budgétaire. Les syndicats ont dénoncé à plusieurs reprises les manques d’effectifs.

Les hôpitaux et les pouvoirs publics pratiquent une gestion prévisionnelle des besoins en lits. L’AP-HP fonctionne avec « 20 à 30 lits de réanimation disponibles », explique son directeur général, Benoît Leclercq. Mais celui-ci souligne que pendant les périodes de fêtes, la tension est plus importante. Le directeur adjoint de l’agence régionale de l’hospitalisation d’Ile-de-France, Jean-Yves Laffont, précise qu’il est arrivé plusieurs fois de tomber « en dessous des 20, voire en dessous des 10 lits de réanimation disponibles et qu’il n’y a eu aucun problème ».

Ce fonctionnement à flux tendu pèse sur les responsables hospitaliers. « Les directeurs d’hôpitaux jouent leur tête. Ils risquent d’être virés si le budget est en déséquilibre, explique M. Couty. Il y a donc besoin d’une autorité de coordination qui prenne la responsabilité d’ordonner la réouverture de lits quand ceux disponibles vont commencer à manquer. » Mme Bachelot a insisté, lundi, sur la nécessité d’une régulation régionale des lits disponibles.

Les 35 heures sont-elles responsables des difficultés de l’hôpital ?

La mise en oeuvre des 35 heures à l’hôpital à partir de 2002 s’est accompagnée d’une désorganisation dans les services. Mais M. Couty conteste que les effets s’en fassent encore sentir« Nous avons épongé des problèmes comme celui du manque d’infirmières en augmentant le nombre de celles sortant des instituts de formation« , assure-t-il. En revanche, l’ancien directeur des hôpitaux reconnaît que plusieurs freins empêchent une bonne mutualisation des moyens en Ile-de-France et pénalisent fortement l’AP-HP par rapport à d’autres régions.

La sécurité des patients est-elle compromise aux urgences ?

« La sécurité des patients n’est plus assurée pendant cette période de fêtes », a affirmé Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), au lendemain du drame de l’Essonne. Le président de SAMU de France, Marc Giroud, a lancé une « alerte rouge » avant le « double pont du Jour de l’An », demandant « la réouverture des lits de réanimation qui ont été fermés tout à fait à tort pendant cette période de forte activité saisonnière ».

L’USAP-CGT rappelle que « tous les jours les professionnels de santé sauvent des vies en situation dégradée ». Au-delà des mesures immédiates prises après les deux drames de décembre, c’est l’adaptation des moyens et de l’organisation de l’hôpital à sa mission de service public qui se joue. Le gouvernement compte sur son projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoire », qui doit être soumis au Parlement début 2009. Ses adversaires dénoncent la logique d’« hôpital entreprise » contenue dans la réforme.

Source : http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/30/la-qualite-de-l-hopital-public-mise-en-accusation_1136314_3224.html#6g6HPrcBsAmKiLL4.99

Partager ce contenu
Activer les notifications OK Non merci