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L’Humanité – décembre 2008 – Le Dr Legrand, urgentiste en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail.

Illustration événement syndical

 

Urgentiste à l’hôpital d’Armentières, Franck Legrand est en grève aujourd’hui pour obtenir de meilleures conditions de travail.

« Après 24 heures de garde, je suis rincé »

Le jour se lève à peine, mais, pour Franck Legrand, la journée est terminée. Ou plutôt, devrait-on dire, sa nuit. Médecin urgentiste à l’hôpital d’Armentières (Nord), à quelques encablures de la frontière belge, il sort de 24 heures de garde. Traits tirés, cheveux en bataille. Mais comme tous ses collègues, il a la satisfaction du « service rendu ». Et, pour une fois, la perspective d’un « long » week-end de quatre jours. Un repos bien mérité, qu’il ne passera toutefois pas entièrement en famille : son épouse, urgentiste elle aussi, dans le même service, est en effet venue le « relever » ce matin, et ne sera de retour que demain matin, après sa garde. « Ce sont les aléas du métier », explique placidement Franck. Un métier qu’il a « choisi » et qu’il « aime ». « Pas de routine, pas de train-train, des résultats rapides. » Ce qui ne l’empêchera pas d’être en grève lundi 1er décembre.

« Il y a un ras-le-bol général », lâche Franck.

Le constat de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), qui est à l’origine du mouvement, Franck le partage amplement : la dégradation des conditions de travail dans les services d’urgences est telle qu’elle « met en danger la santé des patients ». « Au bout de 24 heures de garde, je suis rincé. Je ne suis plus capable de bien soigner les gens. » Le temps de travail, c’est justement le sujet qui fâche ces spécialistes. Sur le terrain, c’est la cacophonie la plus complète : certains travaillent 48 heures maxi, d’autres 48 heures mini, d’autres voient leur travail décompté en demi-journées… Franck, lui, fait ses 55 heures par semaine environ. « Je suis payé sur une base de 39 heures. Au-delà de 48 heures, ce sont des heures supplémentaires. Mais de 39 à 48 heures, nos heures ne sont pas reconnues. »

C’est là que le bât blesse.

« Ce n’est pas qu’on ne veut pas bosser, on veut juste la reconnaissance de notre travail ».

Et de citer l’exemple des Australiens, qui sont à 27 heures hebdomadaires en reconnaissance de la « pénibilité du travail de nuit ». Comme ses collègues, Franck aime à rappeler que l’espérance de vie d’un urgentiste est de dix ans inférieure à celle du reste de la population. C’est dire si la dernière proposition du ministère de la Santé pour reconnaître le surplus de travail des spécialistes de garde a remporté l’assentiment des principaux concernés… « On nous propose 14 euros pour 8 heures de garde. À ce niveau-là, c’est du manque de respect ! » s’énerve Franck, qui dénonce une « gestion financière ».

Et c’est sans parler des conséquences sur la vie privée. « Quand ma femme vient me relever, on s’échange notre fille à l’hôpital. Elle a sept ans et a fini par s’habituer à notre rythme. Mais le jour où elle a une mauvaise note à l’école, ce qui n’arrive que rarement, je culpabilise vite. Je me dis que si j’étais plus présent, ça n’arriverait pas… » avoue aussi cet homme de quarante-cinq ans, à l’allure d’éternel adolescent : cheveux mi-longs grisonnants, jeans, baskets et boucle d’oreille. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il exerce un mi-temps en prélèvement d’organes. « Je n’ai pas envie d’arrêter les urgences. Mais avec l’âge, tout le monde cherche la petite chose qui permet d’être moins sur le front. »

Aux urgences de l’hôpital d’Armentières, neuf des dix médecins du service sont prêts à suivre le mot d’ordre spectaculaire lancé par l’AMUF : arrêter le travail. « On ne refusera pas les assignations enjoignant les grévistes de travailler », précise Franck. Pour lui, la notion de service public n’est pas un vain mot. « À l’hôpital, ce sont les patients d’abord. C’est notre faiblesse et notre honneur. Les urgentistes à qui l’on aura présenté une assignation en bonne et due forme ne mettront pas en danger la sécurité des malades. » Mais, en sa qualité de délégué régional de l’AMUF, Franck Legrand prévient : « Les réquisitions non conformes ou abusives, on va y répondre, mais devant le tribunal administratif. Sur le terrain, les urgentistes sont prêts à un mouvement dur. On en est au même stade que l’an dernier. Le problème des jours qui s’accumulent dans les comptes épargne-temps (CET) n’est pas réglé. Ajoutez à cela la réforme des retraites qui va nous faire perdre 30 % de nos pensions… Vous comprendrez allègrement le mécontentement. »

« C’est une guerre de communication », résume le praticien, faisant allusion à l’absence totale de dialogue avec le gouvernement, mais surtout au terrible avertissement du vice-président de l’AMUF, prédisant qu’il allait y « avoir des morts. » « C’était le seul moyen de se faire entendre », justifie Franck Legrand, expliquant que ces propos visaient avant tout à dénoncer les problèmes récurrents des urgences et les problématiques d’accès aux soins.

Sauf que des morts, l’urgentiste pense lui aussi qu’il « va y en avoir ». « Mais ce ne sera pas notre faute », s’empresse-t-il d’ajouter.

« La loi Bachelot à venir, les mutualisations de services, les suppressions de lignes de garde auront forcément des conséquences. Quand on a un infarctus, chaque minute compte. Si on ferme des services et hôpitaux de proximité, que se passera-t-il pour les patients pas forcément transportables ? »

 

Alexandra Chaignon | L’Humanité| Publié le 1er décembre 2008 |https://www.humanite.fr/node/406621

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